Par Le Monde. Transformer un modèle ancien en véhicule « zéro émission »: le « rétrofit » non reconnu en France, a pourtant le vent en poupe.
Cette Austin Mini a visiblement fait l’objet d’une restauration très soignée. Point de trace de rouille ni de tôle cabossée malgré son âge respectable et une peinture impeccable, zébrée noir et blanc. A y regarder de plus près, on remarque que la trappe à essence comme le pot d’échappement ont disparu.
Lorsque l’on tourne la clé, il se confirme que cette Mini des années 1990 n’a pas seulement été rénovée dans les règles de l’art mais métamorphosée. Electrifiée même. Il n’en émane ni bruit ni vibration.
La puissance de son tout petit moteur logé sous le capot (l’équivalent de 47 ch) n’excède pas celle de son ex-quatre-cylindres mais les accélérations sont plus vigoureuses. La direction apparaît moins pesante (le train avant est plus léger de 80 kg) et la nouvelle répartition des masses imposée par la présence des batteries à l’avant, et, surtout, dans le coffre, rend la voiture plus équilibrée sur la route.
Laurent Blond et Roland Schaumann, qui se sont côtoyés chez Renault dans les équipes dévolues à la formule 1, ont créé la société Ian Motion, installée au Mans et spécialisée dans la transformation de voitures anciennes, une opération qui inspire de plus en plus de start-up à travers l’Europe et porte un nom : le rétrofit. La batterie de 18 kWh de leur Mini autorise une autonomie de 150 km pour une vitesse maximale de 90 km/h. Recharger ce modèle vintage zéro émission impose de prendre son temps ; sept heures environ sur une prise classique, à peine moins sur un chargeur rapide. Malgré l’addition, plutôt salée (40 000 euros environ), Ian Motion a engrangé près de dix commandes fermes.
« Nous avons opté dans un premier temps pour des Mini, car ces voitures attirent la sympathie et l’espace y est tellement compté que transformer d’autres modèles sera forcément plus facile », explique Laurent Blond. De fait, l’ensemble batterie-moteur et le contrôleur qui permet d’en assurer le fonctionnement sont susceptibles d’être adaptés à bord de presque tous les véhicules anciens. « Notre idée, précise Roland Schaumann, est de proposer ce kit à un réseau de petits garages qui pourront en assurer le montage et l’entretien. »
La start-up du Mans s’inscrit dans un processus d’économie circulaire. Ecologiquement parlant, électrifier une vieille auto est a priori plus efficace que de la détruire et de la remplacer par une neuve. Ses concepteurs ont, de surcroît, veillé à ce que la composition de la batterie lithium-ion n’inclue qu’un minimum de métaux issus de terres rares (pas de nickel, de manganèse ou de cobalt).
Cette jolie Mini électrique parfaitement utilisable au quotidien doit faire face à un problème : elle est invendable en France. Autorisé sur simple déclaration au Royaume-Uni (et, après vérification auprès d’un organisme agréé, partout ailleurs en Europe), le rétrofit demeure de facto interdit dans l’Hexagone, compte tenu des obstacles administratifs (il faut notamment solliciter l’avis technique du constructeur d’origine) qui lui sont opposés. Afin de pouvoir circuler en France, la plupart des modèles convertis par la société seront donc homologués en Allemagne.
Un sacrilège pour certains
Regroupant une poignée de sociétés œuvrant à l’électrification de modèles aussi divers que des Volkswagen Coccinelle ou Combi, Peugeot 504, Citroën DS et Vespa 400, Renault Twingo et autres Fiat 500, l’association Acteurs de l’industrie du rétrofit électrique (AIRe) s’est lancée dans un intense lobbying afin d’obtenir un assouplissement de la réglementation.
La loi d’orientation sur les mobilités discutée prochainement pourrait, espère l’association, être l’occasion d’autoriser et d’encadrer le rétrofit. Pas forcément de modèles destinés à la balade dominicale mais aussi de véhicules vieillissants, voire d’utilitaires qui renonceraient au diesel. « Ce qui est en jeu, c’est la constitution d’une lière française », plaide Arnaud Pigounides, coprésident d’AIRe et fondateur de Retrofuture, entreprise spécialisée dans ce domaine. « Si l’on parvient à 1/2 amorcer le mouvement et diviser par deux le prix des batteries dans les prochaines années on pourrait transformer 60.000 véhicules en quatre ans» ne craint-il amorcer le mouvement et diviser par deux le prix des batteries dans les prochaines années, on pourrait transformer 60 000 véhicules en quatre ans », ne craint-il pas d’affirmer.
Reste une interrogation. Est-il bien raisonnable de muer d’un coup de baguette magique une vieille gloire des années 1950 ou 1960 en un vertueux quatre-roues «zéro émission»? Pour certains, transformer une 2 CV ou une Mini en un véhicule silencieux et sans odeur, à la conduite lissée par des accélérations parfaitement linéaires, constitue un sacrilège. L’électrification, c’est moins de cambouis sur les mains et la promesse d’un taux de pannes nettement inférieur à celui d’une voiture ancienne « dans son jus ». C’est aussi renoncer à ces trépidations qui font communier avec la machine, à ces grondements venus d’une autre époque, inimitable signature sonore qui fait se retourner les passants dans la rue. « Chacun fait comme il veut, nous ne formulons pas de jugement de valeur, mais il faut savoir qu’un modèle électrifié ne peut prétendre à une carte grise de voiture de collection. La règle est formelle : avoir été fabriqué il y a plus de trente ans et n’avoir subi aucune transformation notable », rappelle Laurent Hériou, directeur général de la Fédération française des véhicules d’époque. « Il faut protéger les voitures anciennes mais, admet-il, il est devenu nécessaire de trouver un statut pour les véhicules électrifiés ou les répliques modernes de modèles anciens. » Deux pratiques dans lesquelles certains constructeurs, comme Jaguar, sont passés maîtres.