Julien Tchernia. TRIBUNE. Pourquoi l’autoconsommation, concept si séduisant en ces
périodes de réchauffement climatique, a-t-il tant de difficulté à
s’imposer en France ? Pourquoi les Français ne déploient-ils pas des
panneaux solaires sur leurs résidences à l’instar des Allemands ou
des Néerlandais, dont les pays sont pourtant bien moins ensoleillés ?
Selon les chiffres de RTE (Réseau de transport d’électricité),
seulement 20 000 foyers français avaient adopté ce modèle en 2017,
contre 500 000 foyers allemands.
Coté production, le photovoltaïque couvrait, en 2017, 2 % de
l’électricité consommée dans l’Hexagone, contre 11 % en
Allemagne. Si longtemps les causes de ce désintérêt ont été le
manque de maturité des technologies, le coût des panneaux solaires et
le faible prix l’électricité du marché français depuis quelques
années, la performance des panneaux, le progrès des techniques de
stockage de l’énergie et la baisse des prix des matériaux font de
l’autoconsommation un modèle rapidement rentable. Pourquoi alors un
tel désaveu ? Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Les
communautés énergétiques citoyennes et l’autoconsommation peuvent
se révéler néfastes pour l’accès à l’électricité » [1]
Premièrement, par manque de confiance dans la filière du
photovoltaïque. Combien de particuliers se sont fait rouler par des
pseudo-professionnels qui, pour plusieurs milliers d’euros, ont
installé des panneaux solaires incapables de fonctionner ? En 2016,
plus de 200 plaintes de clients ont été enregistrées par la Direction
générale de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes (DGCCRF).
UNE ORGANISATION D’INSTALLATEURS DE PHOTOVOLTAÏQUES
Pour lutter contre ces pratiques déloyales qui ternissent l’image de
la filière, celle-ci doit à tout prix s’organiser. Pourquoi, à
l’instar de ce que pratiquent déjà les assurances avec leurs
plates-formes d’artisans, ne pas envisager la mise en place d’une
plate-forme fédératrice d’installateurs de photovoltaïques ?
Pourquoi ne pas décliner le concept d’Uber au marché des panneaux
solaires en permettant aux clients de noter les installateurs, et à
cette plate-forme d’encadrer les prix ? Article réservé à nos
abonnés Lire aussi Julien Aubert, député LR : « La transition
énergétique à la française est incohérente » [2]
Non seulement ce modèle permettrait au marché de gagner en
transparence et en crédibilité, mais également de se développer
grâce à la confiance retrouvée entre particuliers et professionnels.
La deuxième raison de ce désaveu est la complexité de la
réglementation. En 2017, face au manque d’enthousiasme des
particuliers pour l’autoconsommation, les pouvoirs publics ont fait le
choix d’ouvrir à d’autres fournisseurs d’énergie qu’EDF
l’autorisation de racheter l’énergie produite par des tiers.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Sur le causse du Larzac, un
projet de centrale photovoltaïque mobilise les opposants [3]
Objectif : donner aux nouveaux entrants une raison économique
d’inciter leurs clients à développer l’autoconsommation et la
revente, là où le fournisseur historique le faisait peu. Et pour
cause, quel intérêt aurait-il à inciter ses clients à produire de
l’électricité puisqu’il en produit lui-même ? Qui voudrait
investir pour se créer sa propre concurrence ? En faisant entrer dans
le secteur des fournisseurs d’énergie non producteurs,
l’autoconsommation devait exploser.
LE MARCHÉ N’EST PAS AU RENDEZ-VOUS
Mais deux ans plus tard, le marché n’est toujours pas au rendez-vous.
Pourquoi ? Parce qu’une subtilité du règlement, qui contraint les
particuliers à une démarche administrative longue et absurde, est
venue enrayer le processus. Prenons l’exemple d’un particulier
intéressé par la souscription d’un contrat de revente de son
énergie au fournisseur X, autre qu’EDF. Avant de pouvoir s’engager
avec le fournisseur choisi et bénéficier du tarif de rachat
subventionné par l’Etat, ce particulier doit signer un contrat
d’obligation d’achat avec EDF, attendre le retour de ce contrat
signé par EDF. Article réservé à nos abonnés Lire aussi Transition
écologique : « Un grand récit aura manqué pour donner du sens à
l’effort » [4]
Ensuite il doit demander à EDF de transférer ce contrat au fournisseur
X. A partir de là, l’énergie du client ira au fournisseur X… à
partir du 1er janvier de l’année suivante. A condition que la demande
de transfert soit faite avant le 1er octobre, sinon le transfert se fera
au 1er janvier de l’année n + 1 ! Qui peut arriver à expliquer cela
à un client ? Ajoutons que nos premières expériences, chez ekWateur,
montrent qu’EDF met 18 mois (!) à signer le contrat, bloquant
d’autant le transfert. Résultat : si ce particulier a fait
sa demande en août 2017, son contrat de revente ne sera effectif chez
le fournisseur qu’il a choisi qu’au 1er janvier 2020. De quoi
décourager plus d’un client… Article réservé à nos abonnés Lire
aussi La France ne pourra pas fermer ses dernières centrales à charbon
avant 2020 [5]
Troisième frein, enfin : l’abonnement au réseau de transport. Une
alternative existe pourtant à ce parcours du combattant. Les
particuliers peuvent faire le choix de ne pas revendre leur production
d’énergie au tarif subventionné fixé par l’Etat, mais directement
à un autre fournisseur, à un prix souvent inférieur. Mais là encore
le dispositif est défavorable au développement de l’autoconsommation
car le prix de l’abonnement au réseau de distribution Enedis –
initialement fixé à 11 euros par an sans revente d’énergie –
passe alors à 20 euros par an pour un contrat de revente ! Article
réservé à nos abonnés Lire aussi « La PPE doit devenir une
programmation pluriannuelle de la transition énergétique » [6]
Nous nageons donc en pleine schizophrénie. D’un côté, le
gouvernement soutient le développement de l’autoconsommation par des
aides aux investissements réalisés par les particuliers pour
l’installation de panneaux photovoltaïques ; de l’autre, il met en
place un cadre réglementaire qui bride le développement de ce marché.
Mais, comme en toute chose il faut garder espoir, l’assainissement de
la filière par le développement de plates-formes et l’augmentation
du prix de la production de l’électricité devraient avoir raison de
cette situation. D’ici à 2020 ou 2021, 10 % des résidences
individuelles françaises pourraient être équipées de panneaux
solaires, comme le sont celles des Pays-Bas.