Une nouvelle aube pourrait bien se lever sur l’industrie européenne du solaire, qui a été laminée par la concurrence chinoise ces dix dernières années. Au printemps prochain, dans une usine de l’électricien italien Enel, à proximité de Catane en Sicile, sera inaugurée une ligne de production d’un tout nouveau type de panneaux photovoltaïques qui devraient changer la donne. Les modules en question seront les premiers à présenter une conception bifaciale à hétérojonction : leurs deux faces captent la lumière et une couche de silicium amorphe réduit les pertes d’électrons en surface. Au final, ces panneaux auront un rendement qui dépassera les 25%, nettement supérieur aux 15 à 18% actuels. «L’énergie solaire est déjà la plus compétitive des énergies avec, dans le meilleur des cas, une électricité à 20 euros le mégawattheure (MWh), commente Florence Lambert, directrice d’un important centre de recherche européen, le CEA-Liten. Mais là, il s’agit d’un véritable bon en avant qui va bousculer le secteur. A nous d’en profiter !». STOCKER DE L’ÉNERGIE et l’électricité issue des kits autoconsommation comme celle des hangars agricoles photovoltaïques va pouvoir être stockée de plus en plus facilement
Les progrès du solaire tout comme le potentiel énorme de l’éolien vont entretenir le boom des énergies renouvelables entamé il y a une douzaine d’années. Longtemps marginale, leur part dans la production mondiale d’électricité s’élève désormais à 8% et devrait encore tripler d’ici à 2035 selon la Statistical Review of World Energy publiée par BP. C’est ce qu’espère d’ailleurs le gouvernement français, qui a présenté, fin novembre, la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Selon cette feuille de route, la puissance installée des parcs solaire et éolien passerait de 22 à 75 gigawatts (GW). Seulement, il ne s’agit là que d’une partie de l’équation. Les renouvelables ont certes l’énorme vertu de ne pas rejeter de CO2 dans l’atmosphère, mais leur gros défaut est de produire par intermittence, en fonction de l’ensoleillement ou du vent, à des moments qui ne coïncident pas forcément avec les besoins des consommateurs. Quand les renouvelables fournissent plus d’électricité que nécessaire, il faut être capable de stocker de l’énergie temporairement. Toute la question est de savoir à quel prix.
Pour faire simple, trois technologies complémentaires vont cohabiter pour stocker de l’énergie. La plus ancienne est celle des stations de transfert d’énergie par pompage (Step), ou stations de pompage-turbinage : il existe environ 400 ouvrages dans le monde dont 6 en France, qui représentent 140 gigawatts de puissance installée, soit l’équivalent de celle de 150 réacteurs nucléaires. Ces centrales pour stocker de l’énergie comprennent deux bassins situés à des altitudes différentes. Quand la production d’électricité est trop importante, elle pompe l’eau du bassin le plus bas pour l’amener dans le bassin le plus haut. Pour restituer l’énergie, il suffit d’actionner une turbine hydraulique en reversant l’eau dans le bassin en aval. L’opération entraîne une perte d’énergie de l’ordre de 25% mais ces installations sont idéales pour maintenir l’équilibre sur le réseau électrique entre l’offre et la demande. «Avec leurs grosses capacités, les Step sont indispensables pour soutenir le développement des renouvelables, insiste Alexandre Perra, membre du comité exécutif d’EDF, en charge du plan stockage de l’électricien. Il reste de nombreux endroits où l’on peut en construire, la capacité mondiale pourrait doubler dans les vingt ans.» A noter que les pays alpins étudient le projet de stations de pompage-turbinage à toute petite échelle pour le stockage local de l’énergie, qui permettrait à de petites villes de s’autoalimenter en partie. Une expérience pilote a ainsi démarré à Arbaz, dans le canton de Valais, en Suisse : une centrale photovoltaïque d’une capacité de 120 kilowattheures (kWh) et une minicentrale hydraulique de 600 kilowattheures ont été construites, en mesure de fournir de l’électricité à environ 200 foyers pour un investissement inférieur à 5 millions d’euros.
La deuxième technologie pour stocker de l’énergie sur laquelle pourront s’appuyer les renouvelables est la plus connue du grand public, puisqu’elle est aussi utilisée pour les téléphones et les voitures électriques : il s’agit des batteries lithium-ion, développées depuis le début des années 1990, dont le rendement, élevé, est de l’ordre de 85 à 90%. Même si elles resteront majoritairement employées dans l’automobile, la téléphonie et certaines applications industrielles – le lithium est une matière relativement rare et onéreuse –, ces batteries serviront aussi pour le stockage de masse d’électricité, pour une courte durée (quelques heures). Pour cet usage particulier, elles seront placées en série dans des conteneurs, par exemple à proximité d’une ferme solaire, afin d’alimenter le réseau la nuit, quand les panneaux ne produisent pas. «La performance des batteries s’est fortement améliorée depuis dix ans, avec une densité énergétique nettement plus élevée. Cela a fait considérablement baisser leur coût, qui est passé de 1 000 à 500 euros le kilowattheure, et tombera sous les 200 euros vers 2030, assure Ghislain Lescuyer, directeur général de Saft, le leader français du secteur, racheté en 2016 par Total. D’ici une douzaine d’années, leur durée de vie va aussi passer de dix à vingt ans, notamment car elles utiliseront la technologie tout solide.» Les batteries lithium-ion seront aussi disponibles pour la sphère privée, permettant à un foyer équipé de panneaux solaires d’emmagasiner une partie de sa propre électricité et de couvrir environ 60% de sa consommation. Tesla, qui fait produire ses batteries par le japonais Panasonic, propose déjà un modèle appelé Powerwall.
Autre technologie d’avenir pour stocker de l’énergie , également développée pour créer la voiture propre, la pile à combustible qui utilise de l’hydrogène. Celui-ci est produit grâce à un électrolyseur, qui, alimenté par l’électricité en surplus, décompose l’eau en oxygène et en hydrogène. En recombinant les deux gaz dans une pile à combustible, on obtient alors de l’eau et de l’électricité sans dégager aucun gaz à effet de serre. Il faut, cette fois, trouver un moyen de stocker l’hydrogène. Une première possibilité est de conserver le gaz sous haute pression dans de grosses bonbonnes, les stacks, regroupées dans des conteneurs, un peu comme les batteries lithium-ion. Encore expérimental et assez onéreux (500 euros par kilo d’hydrogène sous très haute pression), ce genre d’installations permettra à terme d’alimenter des clients industriels gros consommateurs d’électricité. «Pour un vrai stockage de masse de l’hydrogène, la meilleure solution est l’utilisation de grandes cavités salines, où l’on sait déjà stocker du gaz naturel, explique Olivier Lhote, responsable stockage de la division hydrogène renouvelable chez Engie. Il faut bien sûr que les conditions géologiques s’y prêtent, mais à terme on devrait arriver à un coût moyen actualisé de stockage très faible, de l’ordre de 10 euros le mégawattheure.» Un premier projet de ce genre est prévu dans le comté du Cheshire au Royaume-Uni. Issu d’électricité éolienne, l’hydrogène qui y sera entreposé devrait permettre d’ici quinze ans de produire 1,5 gigawattheure, de quoi fournir en électricité 1 million de foyers. C’est du sérieux !