La Commission européenne vient de sortir son Reflection Paper (« papier de réflexion ») sur les Objectifs de développement durable (ODD), intitulé « Vers une Europe durable en 2030 »1. On peut déplorer la sortie tardive de ce document, maintes fois reportée depuis la mi-2018 et les Objectifs de développement durable ayant été adoptés il y a plus de trois ans. Par ailleurs, l’actuelle Commission, qui sera remplacée à la suite des élections de mai 2019, ne disposera pas du temps politique nécessaire à la mise en place d’une stratégie de mise en œuvre des Objectifs de développement durable comme le demande le Conseil européen dans ses conclusions du 18 octobre 20182. La balle est désormais dans le camp des pays membres et de la société civile pour lancer un débat autour de ce papier et demander à la prochaine Commission d’agir. Mais rien ne garantit que celle-ci voudra travailler sur la base d’un document dont elle n’est pas à l’origine. Pourtant, elle devrait. Ce papier dresse en effet un diagnostic assez juste – en même temps qu’alarmant –, synthétise l’état du débat et des propositions autour de la mise en œuvre des Objectifs de développement durable au niveau européen, et contient des idées intéressantes pour la suite.
Le diagnostic : avantage historique, mais fragile
Le papier de réflexion commence par rappeler le rôle moteur que l’Union européenne et ses États membres ont joué dans la négociation et l’adoption de l’Agenda 2030 pour le développement durable et des Objectifs de développement durable. Il souligne la présence de valeurs européennes dans cet agenda et met en lumière les acquis historiques de l’Europe dans le domaine du développement durable : selon le classement mondial réalisé par la Fondation Bertelsmann et le Sustainable Development Solutions Network (SDSN)3, l’Union européenne fait mieux que le reste du monde en terme d’éradication de la pauvreté ; elle est aussi très bien placée en termes de protection sociale, de santé et de bien-être ; on trouve sept États membres de l’UE dans les 10 pays les mieux classés.
Sur la base de ce diagnostic positif, les auteurs se penchent sur les défis à relever, mais aussi sur la fragilité des acquis. On peut lire quelques passages assez alarmants sur le coût de l’inaction, notamment dans les domaines du climat, de la biodiversité et de la cohésion sociale. Le recul dans la lutte contre les inégalités, notamment de genre (cf. partage égal des tâches domestiques), est également mentionné. Et le rapport constate la très mauvaise performance de l’Europe dans les domaines de la consommation et de la production durables et de la protection des océans.
N’est-il pas cependant grand temps de passer du diagnostic à l’action ? C’est le sens de l’intervention de la lycéenne suédoise Greta Thunberg à Davos4, la Suède occupant pourtant régulièrement la première place dans les classements sur la mise en œuvre des Objectifs de développement durable .
Trois scénarios qui résument l’état des propositions
L’intérêt principal du Reflection Paper est qu’il rend transparentes les approches que différents acteurs proposent face au défi de la mise en œuvre d’un agenda aussi vaste que les Objectifs de développement durable . Le papier explore trois scénarios pour la suite qui résument bien ces approches.
Le scénario 3 propose de concentrer les efforts sur l’action extérieure de l’Union, reflétant ainsi le narratif classique des Objectifs de développement durable au service du développement, et part du principe que peu d’action supplémentaire est nécessaire au niveau domestique compte tenu de la bonne position de l’Union européenne dans les classements Objectifs de développement durable . Le papier de réflexion met en lumière le risque inhérent à ce scénario de perdre en crédibilité et en leadership sur les enjeux de durabilité.
Le scénario 2 est celui du statu quo amélioré, qui repose sur une approche de mainstreaming : il revient aux États membres et aux différentes directions générales de la Commission d’intégrer les Objectifs de développement durable dans leurs activités, sans directives contraignantes. Ce scénario ressemble à l’approche actuelle, mais propose quand même quelques pistes d’amélioration tout en restant assez vague : il propose par exemple que certains Objectifs de développement durable guident les discussions sur la stratégie de croissance post-2020 et que l’avancement des progrès sur ces Objectifs de développement durable soient suivis par le Semestre européen. Le principal avantage de ce scénario est qu’il se veut opérationnel et efficace en passant par des approches sectorielles ; son principal inconvénient est qu’il n’apporte pas de réponse pour une meilleure coordination entre les États et l’Union ni pour une meilleure cohérence des politiques.
Le plus ambitieux des scénarios est le scénario 1, celui qui demanderait le plus d’efforts additionnels. Il propose une stratégie transversale de mise en œuvre des Objectifs de développement durable avec des cibles et des échéances concrètes et un suivi conséquent au niveau européen et des pays. C’est l’option pour laquelle les auteurs identifient le plus d’avantages : une stratégie ambitieuse, ne laissant personne de côté, pourrait donner une vision positive pour l’Europe, et envoyer un signal fort au niveau international. Dans ce scénario, l’Europe reprendrait un rôle de leadership par rapport à un Agenda 2030, tirant l’ambition internationale, pour l’instant trop faible, vers le haut. Son inconvénient : il s’agit du scénario le plus complexe, se mettre d’accord sur les cibles concrètes entre pays prenant du temps.
Les bonnes idées pour la suite
Dans l’ensemble, le papier en reste au stade de la réflexion et ne s’engage pas sur une action immédiate. Le scénario 2 propose des idées intéressantes, comme celles mentionnées ci-dessus et la création d’un poste de Commissaire de la durabilité. Le scénario 1 va encore plus loin, et propose de :
- porter les enjeux de durabilité au plus haut niveau politique et d’en faire la stratégie de l’UE ;
- intégrer le principe « durabilité d’abord » dans les Better Regulation Agendas5;
- donner un mandat de suivi à la Plateforme multi-acteurs de la Commission6;
- renforcer l’action extérieure de l’UE et son alignement avec les Objectifs de développement durable .
C’est ce scénario qui serait le plus transformateur, à condition qu’il constitue la stratégie de l’Europe à l’horizon 2030 et la base des priorités de la nouvelle Commission. Le papier identifie aussi des politiques contribuant aux Objectifs de développement durable et qu’il faudrait renforcer (par exemple l’économie circulaire, la transition vers un système alimentaire durable, etc.) ainsi qu’un certain nombre de moyens de mise en œuvre (taxation, cohérence des politiques). Toutefois, certaines idées manquent, par exemple une vraie stratégie pour réduire les impacts négatifs sur les pays tiers, ou encore une stratégie de décarbonation cohérente à moyen terme, comme l’analysent l’IEEP et la coalition Think20307.
Le diagnostic étant désormais posé, qui va s’en saisir ? Et quand ? Le papier dit vouloir informer le débat sur l’agenda stratégique 2019-2024 et les priorités de la prochaine Commission. Ne faudrait-il pas en discuter dès le Sommet de Sibiu (début mai 2019) et en amont des élections européennes8? Le scénario 1 sera-t-il le scénario défendu par la nouvelle Commission ? L’Espagne a lancé un groupe informel de pays en faveur d’une mise en œuvre ambitieuse des Objectifs de développement durable . Quid de la société civile ? La Plateforme multi-acteurs (entreprises, ONG, etc.) a déjà fait part de ses propositions, très proches du scénario 1 ; on peut s’attendre à que la société civile continue à se mobiliser dans ce sens. Par l’IDDRI