Via FranceInfo. Comment les énergies renouvelables peuvent-elles devenir un moteur du développement économique en Afrique subsaharienne ? Deux spécialistes des énergies nouvelles ont fait le tour de la question dans The Conversation.
La Chine à la conquête de l’Afrique
Aujourd’hui, les investissements recensés en Afrique subsaharienne dans le déploiement énergétique sont de trois types. Les plus importants sont les IPP (Independent Power Projects), qui regroupent les investisseurs privés, se concentrent essentiellement sur la production thermique, bien que la part de solaire et d’éolien augmente.
Viennent juste derrière les investisseurs chinois, spécialisés dans les barrages hydrauliques, et enfin les financements des institutions d’aide au développement : ceux-ci privilégient les pays moins attractifs pour les investisseurs traditionnels.
La Chine constitue donc un partenaire privilégié pour le développement africain : en 2016, elle était à l’origine de 40 % des investissements directs à l’étranger en direction de l’Afrique subsaharienne, permettant la création de 38 000 emplois.
Les investissements chinois se font majoritairement dans l’immobilier et les transports et entrent en partie dans une logique de sécurisation énergétique, puisque 13% des importations de pétrole vers la Chine proviennent de l’Afrique subsaharienne.
Gagner en attractivité
Les investissements directs étrangers, qui avaient augmenté jusqu’à la crise de 2008-2009 apparaissent en net repli depuis lors et ont diminué de 21 % en 2017 par rapport à 2016, à 42 milliards de dollars. Ils sont nettement insuffisants pour répondre à la demande croissante de la population et à la dynamique des acteurs économiques privés nationaux.
Certains pays, comme l’Ouganda, gagnent en attractivité grâce à la mise en place d’un cadre légal spécifique et des efforts pour favoriser le climat des affaires – lutte contre la corruption, formalisation des services, planification énergétique, etc.
Les investissements directs étrangers étant un enjeu majeur pour assurer l’électrification de l’ASS, la Banque mondiale a tenté d’en identifier les facteurs déterminants. Elle a aussi classé les pays de la région en fonction de la facilité d’y conclure des affaires.
L’existence d’une agence indépendante de surveillance de l’énergie semble indispensable bien qu’insuffisante. 29 pays d’Afrique subsaharienne en sont aujourd’hui dotés, avec des performances inégales. Sont aussi identifiés des prérequis au niveau du pays hôte et du projet, comme un niveau de corruption faible, une bonne planification, un cadre légal cohérent et une réforme des marchés de l’électricité. Ces éléments sont essentiels pour créer un cercle vertueux pour les acteurs privés notamment en matière d’innovation.
La faiblesse des monnaies locales, couplée à un endettement extérieur et un manque de liquidités croissants des États africains, constitue toutefois l’une des limites majeures. La majorité des monnaies africaines possède un taux de change faible et demeure très volatile et dépendante des cours des matières premières.
Une dévaluation soudaine peut mettre en péril la viabilité économique de projets ENR entamés ou la capacité de remboursement de prêts contractés. Or, la baisse des recettes d’exportations liée à la chute des prix des matières premières des dernières années a engendré une hausse de l’endettement de plusieurs États de l’Afrique subsaharienne – Tchad, Érythrée, Mozambique, Congo, Soudan du Sud et Zimbabwe.
Impliquer la population
La formation de la population africaine est par ailleurs indispensable. Elle passe par une éducation de base pour tous et par la mise en oeuvre d’une formation professionnalisante dédiée aux énergies renouvelables. Aujourd’hui, dans de nombreux pays, moins de 50 % des enfants atteint le niveau collège et moins de 10 % l’enseignement supérieur. Beaucoup de jeunes diplômés sont au chômage par manque de connexion entre l’université et le monde professionnel – en 2016, par exemple, le taux d’insertion des diplômés en Côte d’Ivoire était inférieur à 15 %.
Des organismes de formation émergent, souvent soutenus par des institutions internationales d’aide au développement économique ou énergétique. C’est le cas d’Ecowas Renewable Energy Entrepreneurship Support Facility, fondée en 2015 par les gouvernements d’Afrique de l’Ouest en partenariat avec l’Irena. L’organisme a pour vocation de former et de soutenir les entrepreneurs locaux qui souhaitent se lancer dans les ENR.
L’influence chinoise sur le territoire africain passe également par l’éducation, puisque le pays consacre une part importante de ses investissements au développement des compétences en Afrique subsaharienne.
Encouragée par une meilleure maîtrise des technologies ENR et par le désir de participer au développement économique, la population pourrait s’impliquer dans l’électrification du continent, notamment au travers de financements participatifs aux investissements.
Le Grand barrage de la renaissance en Éthiopie, qui devrait être mis en service en 2018, constitue un premier exemple. Sa construction a été rendue possible par la participation de la population éthiopienne. À la suite du refus des bailleurs internationaux de prendre part au projet, et à la désolidarisation des pays voisins, le gouvernement s’est tourné vers la population éthiopienne en émettant des bons. Achetés par les Éthiopiens et la diaspora, ils ont permis de mener à terme ce projet chiffré à 6 milliards de dollars. Un moyen de pallier les difficultés à attirer des capitaux étrangers.
Coopérer avec les pays voisins
Résoudre les inégalités dans le déploiement du réseau électrique permettrait une coopération régionale en matière de gestion des flux énergétiques et économiques. L’établissement de zones de collaboration, comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, traduit un désir d’intégration régionale, bien que les résultats soient inégaux. La création en 2018 par 44 pays d’Afrique d’une zone de libre-échange continentale, renforce et élargit cette collaboration.
Des lignes électriques transfrontalières commencent d’ailleurs à voir le jour. C’est le cas de Zizabona, qui relie le Zimbabwe, la Zambie, le Botswana et la Namibie. Le Sénégal envisage même une expansion de son réseau jusqu’au sud de l’Europe. Les zones à haut potentiel énergétique étant parfois situées aux frontières, une collaboration structurée permettrait d’éviter de nombreux conflits.
Au contraire, un partage de l’investissement, de la production et de la rente, pourrait s’avérer avantageux pour développer le réseau électrique régional. L’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal emprunte déjà cette voie : les quatre États membres – Sénégal, Guinée, Mauritanie et Mali – partagent ainsi les investissements et les revenus des barrages construits sur le fleuve Sénégal grâce à la création en 2015 d’un marché commun de l’énergie.
Le projet Grand Inga, en République démocratique du Congo, ambitionne de devenir le plus grand barrage du monde : il bénéficierait de la quasi-totalité de la capacité du fleuve Congo. Sa puissance de 39 GW pourrait être redistribuée jusqu’en Zambie ou au Zimbabwe, créant une coopération régionale nouvelle. Le coût conséquent du projet, l’instabilité politique du pays, et les soupçons de corruption freinent toutefois son développement.
Combler le retard industriel par les infrastructures
Avec la population indienne, la population africaine est la plus jeune du monde. Les économies subsahariennes doivent profiter de ce dynamisme démographique, et des motivations entrepreneuriales d’une jeunesse ambitieuse de s’investir dans des solutions économiques et technologiques durables.
Entre autres, la consolidation d’infrastructures de production électrique et de transports permettrait de combler le retard industriel du continent. Cette logique inclusive doit prédominer en matière d’investissements dans le secteur de l’énergie, aujourd’hui trop dépendants de financements extérieurs.
Les ENR peuvent devenir un réel moteur de développement économique. Des solutions existent déjà sur le continent et la question du décollage économique de l’Afrique ne relève pas d’une problématique technologique. Il s’agit surtout de catalyser différents éléments : le dynamisme entrepreneurial, des systèmes de financement innovants, des réformes nationales dans les différents pays d’Afrique subsaharienne et, au niveau international, accélérer le transfert de technologies et l’innovation bas-carbone.
Emmanuel Hache, Économiste et prospectiviste, IFP Énergies nouvelles et Gondia Sokhna Seck, Spécialiste modélisation et analyses des systèmes énergétiques, IFP Énergies nouvelles
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.