Par Le Monde. Abrité sous son parapluie, Jesper, 70 ans, promène son chien au bord du détroit de l’Öresund. Davantage que contre la pluie, cet homme d’affaires à la retraite peste contre les voitures « même pas électriques » qui circulent dans les allées piétonnes, malgré l’interdiction. Lorsqu’il s’est installé à Västra Hamnen, c’est d’abord la vue imprenable sur la mer qui l’a séduit. La dimension écologique et les énergies renouvelables de ce quartier de Malmö était, au mieux, « un plus ». Dix ans plus tard, il n’est pas davantage convaincu et désigne, d’un signe de tête, l’emplacement où se dressait l’éolienne qui alimentait le secteur en électricité, avant d’être démantelée en 2017.
Pour ses concepteurs, le fait que les habitants n’aient pas à se soucier de la dimension écologique de leur habitat était l’un des buts initiaux
Comme lui, nombre d’habitants ont choisi Västra Hamnen pour son emplacement et son joli capharnaüm architectural, bien plus que pour son profil « vert » et ses énergies renouvelables . Ils ne savent souvent pas, d’ailleurs, comment est produite leur électricité ou comment sont alimentés leurs radiateurs. Un signe de l’échec du projet ? Au contraire : pour ses concepteurs, le fait que les habitants n’aient pas à se soucier de la dimension écologique et des énergies renouvelables de leur habitat était l’un des buts initiaux. Et si, à l’exception de quelques panneaux solaires sur les toits, la majeure partie des installations sont situées sous terre – donc invisibles –, l’objectif global a bien été atteint : la première portion du quartier fonctionne à 100 % aux énergies renouvelables depuis son inauguration, et le reste « n’en est pas très loin », assure Mattias Örtenvik, spécialiste du développement durable chez l’énergéticien E.On, opérateur du réseau électrique, de chauffage urbain et de transport durable à Malmö.
Quartier vitrine de Malmö
Dix-sept ans après la construction des premières résidences, sur ce qui n’était alors qu’une gigantesque friche industrielle, Västra Hamnen reste une vitrine pour la ville. Là où tout a commencé. L’engagement de la municipalité pour le développement durable et les énergies renouvelables , mais aussi la renaissance d’une cité laminée par la crise économique des années 1990 et les effets de la globalisation. Aujourd’hui, environ 10 000 personnes vivent dans le quartier, l’un des plus prisés de la troisième ville de Suède. Environ 15 000 personnes viennent aussi travailler chaque jour dans ses grands immeubles de verre, son centre commercial, ses écoles, son université…
Placer l’architecture au service du développement durable
En 2001, lorsque la mairie décide d’organiser un salon international de l’habitat baptisé « Bo01 » – une combinaison de bo, habitat en suédois, et 2001 – consacré à la rénovation du vieux port, le pari est risqué. L’architecte suédois Klas Tham propose d’y construire la« ville de demain », en plaçant l’architecture au service du développement durable. « Si nous voulons construire des habitations durables, nous devons nous assurer que leurs locataires les apprécieront suffisamment pour en prendre soin », théorise-t-il.
Plusieurs dizaines d’architectes suédois et étrangers sont mobilisées. L’Espagnol Santiago Calatrava signe le projet-phare, Turning Torso, une contorsion en neuf blocs s’élevant à 190 mètres, devenu un symbole de la renaissance de Malmö. L’objectif est alors de construire un « quartier vert » de cinq cents logements sur vingt-deux hectares, en utilisant les toutes dernières innovations en matière de construction écologique, de contrôle de la consommation d’énergie, énergies renouvelables, de recyclage, de traitement des déchets et de biodiversité.
Collecte pneumatique des ordures et fourniture d’énergie
Une éolienne fournit l’électricité – depuis 2017, elle est produite par un parc éolien construit dans les terres. Le quartier est connecté au réseau municipal de chauffage urbain, alimenté par une centrale de cogestion qui produit de l’énergie en brûlant les déchets non recyclables. Un système de collecte pneumatique des ordures a été installé, pour faciliter le tri sélectif et éviter le passage des camions-poubelles. Les déchets organiques sont utilisés pour fabriquer du biogaz, qui fait rouler les bus de Malmö.
L’été, l’excédent de chaleur produit et d énergies renouvelables est stocké dans le sol, l’hiver, l’eau froide alimente le réseau de froid urbain
Mais la principale innovation se trouve à 90 mètres sous terre, reliée à la surface par dix puits émergeant au cœur même de Bo01. « On s’est rendu compte qu’il y avait, dans la roche calcaire, un très gros aquifère – une formation géologique suffisamment poreuse pour y stocker de l’eau – que nous pouvions utiliser comme réservoir d’énergie en y stockant le froid, l’hiver, et la chaleur, l’été », explique Mattias Örtenvik. L’été, l’excédent de chaleur produit par le réseau de chauffage urbain, les panneaux solaires , les énergies renouvelables ou les habitations, est stocké dans le sol, sous forme d’eau chaude, tandis que l’eau froide, accumulée l’hiver, remonte à la surface pour alimenter le réseau de froid urbain.
A l’époque, le concept est révolutionnaire et ne pourra d’ailleurs pas être appliqué partout, mais Västra Hamnen a fonctionné comme« un terrain d’expérimentation » pour tous les acteurs mobilisés, assure M. Örtenvik. « Nous avons travaillé sur la fourniture d’énergie mais également sur les solutions pour l’utiliser le plus efficacement possible, ce qui n’était pas évident il y a vingt ans, mais l’est devenu aujourd’hui. »
La prochaine étape : devenir une « ville intelligente »
Tout n’a pas fonctionné. Ainsi, la consommation d’énergie des résidences de Bo01 ne devait pas excéder 105 kWh au mètre carré par an : un plafond respecté aujourd’hui, mais qui fut souvent dépassé au cours des premières années, à cause des grandes baies vitrées et de la multiplication des appareils électroniques dans les appartements. E.On a également mené des tests auprès des locataires d’une résidence en leur permettant d’adapter leur consommation d’énergie en fonction de diverses variables. « On s’est rendu compte que les gens n’étaient pas prêts à y consacrer plus d’une minute par semaine », explique Mattias Örtenvik. Une leçon pour les systèmes développés depuis, automatisés au maximum.
L’étape suivante pour Malmö ? Devenir une « ville intelligente » et se passer entièrement des énergies fossiles, y compris dans les transports, d’ici à 2030, soit dix ans avant l’objectif fixé au niveau national. Dès 2020, le quartier de Hyllie, au sud de la ville, devrait toucher au but, en mélangeant des solutions inspirées de Västra Hamnen et de nouvelles techniques visant la valorisation énergétique. Avec plusieurs défis : l’électrification des transports d’abord, mais aussi l’augmentation des énergies vertes dans l’offre d’électricité, où le nucléaire compte encore pour 40 % de la production suédoise.